Environment Artist chez Ubisoft Montpellier, Paolo Dupuy nous parle de son job sur Prince Of Persia – The Lost Crown, sa vision sur l’Intelligence Artificielle, son process créatif en tant qu’Environment Artist.
Est-ce que tu as des anecdotes particulières sur Prince of Persia, sur votre fonctionnement, sur le travail en équipe ?
Le travail chez Ubisoft à Montpellier, et particulièrement dans l’équipe de Prince of Persia, a été assez exceptionnel. Il y avait une synergie d’équipe formidable, avec des leads, des managers, et des dirigeants de qualité. L’équipe qui a initié le projet et qui l’a suivi jusqu’au bout était composée de personnes ayant de grandes qualités humaines. Il y avait une vraie réflexion sur ce qu’est un bon management et une humilité, une capacité à admettre que l’on ne sait pas tout du bon management. Cela a créé un environnement très sain et constructif, notamment pour nous, les juniors.
On fonctionnait dans un mode très horizontal, où, au lieu de hiérarchie stricte, il y avait plutôt des rôles différents, interchangeables si nécessaire, et une complémentarité entre tous. Chacun avait sa place et chacun était écouté. Notre avis comptait, on était impliqués dans le projet, et ils valorisaient vraiment ce que nous, en tant que juniors, pouvions apporter. L’équipe était composée de membres de presque tous les âges, allant de jeunes de 23 ans jusqu’à des personnes de 65 ans. Ce mélange de générations a rendu la collaboration très enrichissante. Les plus expérimentés apprenaient aussi des plus jeunes, et il n’y avait pas de place pour l’ego. Cela a permis de produire un jeu qui a reçu d’excellentes critiques, ce qui est, je pense, le signe d’une production réussie.
Combien de personnes étaient sur le projet ?
Au début, le projet a duré quatre ou cinq ans depuis son lancement. Pendant les deux ou trois premières années, une petite équipe travaillait sur des prototypes peu avancés. Il y avait une cinquantaine de personnes pendant environ un an, puis nous sommes montés à une centaine pendant un an et demi. Six mois avant la sortie, nous étions environ 150, et ensuite, pour les mises à jour et les contenus additionnels, l’équipe est redescendue à une cinquantaine de personnes.
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton métier ?
Ce que j’aime dans la création d’environnements pour le jeu vidéo, c’est de pouvoir concevoir un univers en trois dimensions que l’on peut explorer. Il ne s’agit pas seulement de créer une image, mais un univers complet. On doit penser à des éléments génériques comme spécifiques, tout en prenant en compte des aspects techniques pour que cela serve au jeu. C’est passionnant, car on touche à des domaines variés : l’art, le game design, l’expérience utilisateur, et la technique.
Les contraintes techniques nous poussent à être créatifs : elles nous ouvrent en fait des champs de possibilités qui deviennent perceptibles, alors que sans contraintes, on peut facilement se perdre. Par exemple, on peut passer des heures à sculpter des rochers ou à concevoir une fenêtre. Cette passion peut sembler absurde pour quelqu’un d’extérieur, mais on sait pourquoi c’est fascinant : parce qu’on a étudié chaque détail, on sait ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et les aspects techniques derrière chaque élément.
D’où tires-tu ton inspiration ?
J’ai toujours trouvé de l’inspiration, et il existe des techniques pour en trouver à différentes échelles. L’inspiration, c’est pouvoir conceptualiser tout un univers, une ville, un bâtiment, jusqu’aux plus petits détails comme une porte ou un meuble. La culture personnelle joue un rôle essentiel : elle est alimentée par nos centres d’intérêt, les documentaires qu’on regarde, les voyages qu’on a faits, tout ce qui nous a marqué. J’ai une grande sensibilité pour les environnements moyen-orientaux, car j’ai vécu au Maroc pendant deux ans, et j’ai aussi voyagé en Inde. Ces influences m’ont marqué et m’inspirent.
On est tous capables de travailler dans des univers variés, mais chacun développe ses préférences, comme certains qui se spécialisent dans la végétation, les bateaux ou encore les voitures. En environnement, l’inspiration est inépuisable car tout peut être intéressant dans le cadre d’un jeu. Une fois qu’on fait le choix d’un univers ou d’un style, le champ des possibles s’ouvre et l’inspiration se crée dans ce cadre. Tout concept peut être intéressant si on y met de la subtilité, de l’originalité, et qu’on travaille les détails. Le diable se cache dans les détails !
Peux-tu me parler de ton expérience à ARTFX ? Qu’est-ce qui t’a particulièrement aidé à décrocher un job ?
Quand je suis arrivé à ARTFX, je savais déjà que je voulais être environnement artist. Je travaillais déjà sur des environnements dans Minecraft, et je cherchais à en faire un métier. Les premières années, on a eu beaucoup d’ouvertures vers d’autres domaines, ce qui m’a intéressé même si je continuais mes projets personnels en parallèle.
Avec d’autres étudiants voulant se spécialiser en environnement, on a rapidement cherché des techniques par nous-mêmes. On se partageait nos découvertes, on travaillait ensemble sur Discord, dans une compétition positive où chacun voulait faire quelque chose d’impressionnant tout en s’aidant les uns les autres. Mon objectif dès le départ était d’être capable de créer des environnements du niveau de ceux de God of War 2018, un jeu qui m’a beaucoup impressionné. Beaucoup d’étudiants pensent que le travail en entreprise est inaccessible, mais il ne faut pas se laisser impressionner par le résultat final sans voir le processus derrière. Avec les bonnes bases, rien n’est infaisable.
La formation t’a bien préparé pour ça ?
Oui, mais j’ai surtout utilisé l’école comme un pied dans le milieu. Je savais que je pouvais apprendre beaucoup par moi-même, mais l’école m’a permis de rencontrer des gens, d’entrer dans un réseau de personnes qui partagent la même passion, d’étudiants et de professionnels. Aujourd’hui, on continue à échanger entre nous, même après l’école, sur Discord. On se demande des conseils, on s’entraide, et on garde le lien, même avec ceux qui sont dans d’autres studios ou villes.
Tu penses que l’école t’a aussi appris le travail en équipe ?
Oui, mais en partie, car je travaillais déjà en équipe sur Minecraft, où l’on manageait de gros projets. On ne finit jamais d’apprendre à travailler en équipe, car chaque équipe est unique et on doit constamment adapter sa manière de collaborer. Mais l’expérience d’ARTFX m’a donné l’occasion d’approfondir et d’améliorer ma façon de travailler avec les autres.
Est-ce que tu veux me parler du sujet de l’IA ?
L’IA générative, on pourrait dire que c’est un mixeur de l’art. C’est une technologie qui pose d’énormes questions, et ça continue d’en poser, car elle évolue à un rythme fou, beaucoup plus rapide que toutes les avancées technologiques passées. En fait, elle ne cesse de progresser, sans ralentir, contrairement aux autres innovations qui connaissent des phases de changement radical suivies de périodes plus stables. On arrive désormais à générer des images très crédibles, avec de moins en moins d’erreurs, et cela suscite une grande interrogation : est-ce que cette IA va nous remplacer dans notre métier ?
Mais, je pense que non. L’IA pourrait peut-être réduire la masse salariale nécessaire pour certaines productions artistiques, comme dans les jeux vidéo ou le cinéma, mais la majeure partie de notre travail ne réside pas dans la simple production d’images. L’essentiel de ce que l’on fait, c’est réfléchir à ce que l’on crée : la technique, l’artistique, la composition. Créer une image n’est qu’une étape de ce processus de réflexion. L’IA générative, dans ce contexte, devient donc un outil parmi d’autres. Par exemple, il existe des IA pour générer des images de manière nodale. Elles nécessitent de paramétrer les éléments : un peu plus de médiéval, un peu moins de détails dans un certain style, ou encore des ajustements dans le choix des éléments visuels. Ça prend du temps, finalement presque autant que de le dessiner soi-même, si on sait dessiner.
Pour un artiste, ce qui prend du temps, ce n’est pas le dessin en soi, mais la réflexion qui mène à ce dessin, les itérations, les ajustements. Alors, l’IA devient un outil pour générer des objets ou même des modèles 3D. Mais ce n’est qu’un outil, car au fond, notre métier ne consiste pas uniquement à produire de l’image, on est aussi des chercheurs et des artisans. L’IA générative peut être pratique, mais elle ne constitue pas le cœur de notre métier.
L’IA actuelle, c’est surtout un « mixeur » d’œuvres existantes, et cela pose des problèmes éthiques et légaux. Elle s’appuie sur des images, des photos, des dessins créés par des artistes qui ne sont pas rémunérés pour ça ; en fait, c’est du vol. Les modèles d’IA actuels sont souvent nourris d’œuvres d’artistes, et c’est leur style qui est synthétisé et répliqué. Sauf que ces artistes n’ont pas consenti à ce processus. C’est comme si on mixait et simplifiait la démarche d’un artiste pour la reproduire à l’infini, alors qu’en réalité, chaque artiste a sa propre émotion, ses propres histoires à raconter, ce qui est essentiel dans une œuvre.
Un mixeur produit une « purée » à partir de divers ingrédients, mais un artiste, lui, s’interroge : pourquoi assembler les éléments ? Quelles émotions transmettre ? L’IA peut être utile pour ceux qui ne savent pas dessiner, pour générer un concept art, par exemple, mais même dans ce cas, sans une connaissance des théories visuelles, les résultats risquent de manquer de profondeur.
Cela nous amène aussi à la question de l’audience : qu’est-ce que les spectateurs, les joueurs, ou les clients recherchent ? Est-ce qu’ils se soucient de savoir si une œuvre a été faite par une IA ou un humain ? Je pense que beaucoup de gens préfèrent que ce soit un humain, car ils veulent ressentir l’histoire et l’émotion d’une personne réelle, et non une simple synthèse de styles. Pour ma part, si je sais qu’une œuvre est faite par une IA, j’y accorde moins d’intérêt, car elle ne raconte rien de personnel. Par contre, face à une œuvre humaine, je m’interroge : « Qu’est-ce que l’artiste a voulu dire, pourquoi ces choix ? »
Quand on s’intéresse à l’art, savoir qu’une œuvre est créée par une IA diminue souvent son attrait. C’est un peu comme l’art abstrait, où ce qui compte, c’est la démarche, l’intention de l’artiste derrière l’œuvre. En somme, plus l’IA devient performante, plus la frontière se brouille, mais pour moi, c’est clair : l’IA générative est un outil fascinant, mais elle ne remplacera jamais l’essence humaine dans l’art, qu’il s’agisse de générer des images, des vidéos, ou des objets 3D.

Environment Artist 3D spécialisé dans la modélisation, le texturing et la création d’environnements immersifs. Paolo a été formé à ARTFX (2018–2022), et débute sa carrière chez AIKO Creative Vision en stage, où il développe des compétences techniques variées sur UE4 et Unity (shaders, terrains procéduraux, lighting, etc.). Il rejoint ensuite Ubisoft Montpellier en 2022, d’abord en tant que Junior Environment Artist, puis évolue en CDI comme Environment Artist confirmé(e) sur Prince of Persia: The Lost Crown.
Fort de deux ans d’expérience dans la production de jeux AAA, il/elle maîtrise la modélisation 3D, le texturing et l’intégration dans des moteurs temps réel, avec une approche rigoureuse du worldbuilding et du travail collaboratif.