Former par le réel et se réinventer à l’ère de l’IA : entretien avec Charles Chorein, superviseur VFX, superviseur plateau et directeur ARTFX Londres.
Professionnel reconnu des VFX et pédagogue de terrain, Charles défend une approche de la formation ancrée dans la réalité des studios, portée par des intervenants en activité et des exercices et projet collaboratif sans filet.
Dans cette interview, il nous partage sa vision d’un apprentissage fondé sur la résolution concrète de problèmes de terrain et une réalité du marche, il souligne également le caractère irremplaçable de l’humain dans la compréhension d’une idée, d’un projet, de coup de production et interroge les biais structurels du secteur et partage une conviction forte: la réinvention est devenue une compétence essentielle à tout âge.
« Se réinventer, c’est transformer l’incertitude en opportunité et apprendre à créer son futur plutôt qu’à le subir.»
Apprendre sans attendre une recette miracle
Les tutoriels et exercices sont d’excellents points de départ, reconnaît Charles : ils permettent de comprendre les bases et de se familiariser avec les outils. Mais dès qu’un problème sort du cadre prévu, leur utilité s’arrête.
La vraie différence se joue lorsqu’il s’agit de passer de l’exécution d’instructions à la capacité d’assembler des savoirs disparates pour créer une solution originale. Aucun tutoriel ne peut enseigner comment réussir demain un FX complexe, un éclairage CGI qui s’intègre dans un plan, un compositing convaincant ou une image pleinement aboutie. Il faut analyser, combiner, expérimenter et accepter l’incertitude.
Les tutoriels initient et sont essentiels, mais ne suffisent pas à professionnaliser. La vraie valeur ajoutée aujourd’hui est de savoir assembler ses connaissances pour résoudre un cas précis sans guide préétabli.
Le brief, l’interprétation et la part humaine
L’IA peut générer des images techniquement correctes, mais décider ce qui est juste, meilleur ou moins bon reste profondément humain. Un brief, explique Charles, est toujours teinté de subjectivité, d’un vocabulaire et des limites de celui qui le formule. Pas de vision claire = pas de résultat précis. Définissez avant de créer.
D’où l’importance de clarifier la demande, reformuler, aligner les critères de qualité et de timing, et pouvoir proposer rapidement un premier rendu pour vérifier la direction prise.
« Être créatif, ce n’est pas seulement avoir de bonnes idées, c’est transformer chaque idée en résultat concret, jusqu’au dernier détail. »
Un secteur encore très masculin
Charles dresse un constat lucide : le secteur des effets visuels et de l’animation reste encore largement masculin. Cette réalité, bien qu’évolutive, influence profondément la dynamique des équipes et la confiance en soi des talents, notamment des femmes, souvent davantage confrontées aux stéréotypes et à une forme d’autocensure.
Les inégalités ne sont pas toujours flagrantes, elles se manifestent souvent de manière subtile, dans la répartition des responsabilités, la reconnaissance du travail ou l’accès à certaines opportunités de carrière. Ces écarts, bien que discrets, finissent par se cumuler et par peser sur la progression professionnelle.
Pour Charles, parler ouvertement de ces réalités est une étape indispensable. Cela permet non seulement de préparer les nouvelles générations à naviguer dans un environnement encore imparfait, mais aussi de faire évoluer les pratiques managériales et pédagogiques vers davantage d’équité.
Créer des espaces où chacun et chacune peut s’exprimer librement, se tromper sans crainte et être reconnu pour sa compétence avant tout, constitue selon lui un levier essentiel pour rendre le secteur plus inclusif et plus durable.
“La compétence ne suffit pas si l’environnement décourage.”
Confiance et progression de carrière
Passer de junior à superviseur ne repose pas uniquement sur la maîtrise technique, mais aussi et surtout sur la confiance que l’on vous accorde. Dans de nombreux parcours, les évolutions significatives s’opèrent parce qu’un responsable, une cheffe ou un mentor a su reconnaître un potentiel et a décidé de lui donner de l’espace pour s’exprimer : la confiance agit alors comme un véritable accélérateur de carrière, permettant à chacun de prendre des initiatives, d’expérimenter, de se tromper, et d’apprendre.
Depuis la période du Covid, cette dimension est encore plus cruciale.
Les jeunes professionnels arrivant sur le marché ont parfois manqué d’expériences collectives et de situations concrètes où confronter leurs idées, recevoir des retours, ou simplement observer les dynamiques de studio ou plateau. Retrouver ce lien humain, ces échanges directs, et ces moments de travail partagé devient essentiel pour renforcer la confiance en soi et construire une progression solide.
Une pédagogie ancrée dans le réel, au contact des studios, des contraintes de production et des exigences de qualité, permet justement de recréer ces conditions. Le progrès passe par l’exposition régulière à des situations inédites, des retours honnêtes, et un cadre où l’erreur est perçue une étape vers un objectif.
Charles propose une checklist pour progresser efficacement :
- Montrer régulièrement son travail et solliciter des retours ciblés pour identifier les axes d’amélioration.
- Rechercher des contextes pédagogiques proches des studios, où les échanges avec des professionnels en activité nourrissent la compréhension du métier.
- Construire un portfolio démontrant non seulement la qualité technique, mais surtout la capacité à résoudre des problèmes non tutorés, à faire preuve d’initiative et d’autonomie.
- Développer sa confiance en participant à des projets collaboratifs, en partageant ses travaux, et en cultivant une approche ouverte du feedback.
Diplômes, portfolio et légitimité
Charles considère que si le diplôme reste nécessaire pour répondre aux exigences administratives et officielles pour des VISA de travail ou administrative importante, il ne garantit ni la créativité, ni la capacité d’analyse visuelle, ni la compréhension des enjeux concrets d’un projet ou le travail d’équipe. Dans des métiers comme les VFX, post-production et même pour parler plus large de l’industrie de l’audiovisuelle, la maîtrise technique seule ne suffit pas, ce qui compte, c’est la manière dont nous savons interpréter une demande, prendre des décisions exécutives techniques et artistiques, résoudre des problèmes non codifiés et vous adapter aux changements.
« Une belle bande démo vaut plus qu’un beau diplôme », résume Charles Chorein.
Selon Charles, les processus de sélection devraient donc mettre davantage l’accent sur la preuve tangible et factuel: des projets réalisés, un portfolio ou une bande démo qui démontrent la capacité à concevoir et exécuter un résultat complet et professionnel. Au-delà des compétences techniques, il s’agit de détecter la vision artistique, le sens de l’esthétique et la capacité à s’adapter à des situations inédites, des qualités essentielles pour évoluer efficacement dans un environnement créatif et exigeant.
En ce sens, le portfolio devient un outil de légitimité plus parlant et plus pertinent que le simple diplôme, car il reflète directement la capacité tangible et individuelle à produire du travail concret et à relever des défis réels.
Se réinventer après 40 ans
Face à un secteur qui change tous les 5 ans et qui s’accélère d’avantage face à l’IA, le machine learning et les nouveaux modèles économiques, la formation continue n’est plus un choix mais une nécessité. Pour Charles Chorein, se former tout au long de sa carrière, adapter ses compétences en fonction des évolutions techniques et créatives, et maintenir un lien étroit avec la production réelle, sont les clés d’une évolution durable voir même de survie pour rester dans l’industrie. « What’s coming next? » reste la vraie angoisse du secteur même si nous voyons un vecteur qui ce profile de manière évidente. La seule réponse crédible est la capacité de savoir joué avec ces cartes et d’adapter.
Conseils de Charles aux étudiantes, étudiants et jeunes pros
- Choisir des formations adossées aux studios et animées par des professionels actifs : l’un des facteurs clés pour se préparer efficacement à l’industrie est de suivre des formations qui pense comme un studio et au travail réel en production. Les enseignants doivent être des professionnels en activité, impliqués quotidiennement sur des projets concrets.
- Sortez de votre zone de confort : la vraie progression commence là où l’on se sent légèrement mal à l’aise. Osez les projets sans tutoriel, testez des techniques inconnues, collaborez avec de nouvelles équipes et acceptez l’échec comme un apprentissage. Chaque défi hors de votre zone de confort développe votre autonomie, votre créativité et votre confiance en vous.
- Travailler votre créativité autant que la technique : maîtriser les outils est essentiel, mais ce qui distingue un artiste, c’est sa capacité à créer et à inventer. Testez différentes approches, analysez le travail des autres, osez expérimenter et tirer des leçons de vos échecs. La technique vous permet de réaliser vos idées, mais la créativité les rend mémorables.
Un nouveau campus ARTFX à Londres
Pour Charles, la création d’un campus ARTFX à Londres consiste à s’adosser aux studios et à leur quotidien. Même lieux fréquentés, même passions et culture de plateau. Les formatrices et formateurs sont des intervenants en production, les exercices ne sont pas des routines figées, ils s’attaquent à des problèmes qui n’ont pas encore de solution écrite et notre approche est quelque chose que nous réinventons chaque année pour s’adapter à une réalité qui est en perpétuelle évolution.
Former, c’est exposer les étudiantes et étudiants à des situations inédites, avec des mentors qui pratiquent le métier tous les jours.
Cultiver la confiance en soi et constuire un réseau vivant
La confiance en soi se construit aussi en exposant régulièrement son travail à un public réel : cela peut inclure des présentations de projets en classe, des critiques de groupe, des showreels partagés avec des professionnels ou encore des workshops ouverts à d’autres personnes extérieures à votre environnement.
On n’apprend pas seul : le réseau est un levier essentiel pour progresser. Échangez avec des professionnels expérimentés et des pairs passionnés : chaque rencontre est une occasion d’apprendre, de collaborer et de grandir.
Crédit photo : Pidz.