Le Québec n’a plus d’Effet(s) : rapport d’un mouvement citoyen aussi engagé que passionné
Quand la passion rencontre la tempête : nous avons interviewé Mathieu Chatelier et Guillaume Palégie, deux compositing artists engagés dans un mouvement citoyen visant à améliorer la situation de crise des effets visuels au Québec.
1. Un duo engagé : Matthieu Chatelier & Guillaume Palégie
Matthieu Chatelier, vétéran du compositing : dans l’industrie depuis 1999 et vivant à Montréal depuis 2004, et Guillaume Palégie, diplômé ARTFX (promo 2009), sont deux compositing artists installés au Québec depuis des années. Leur expertise et passion les ont naturellement conduits à co-fonder le mouvement citoyen Le Québec n’a plus d’effet(s), qui se bat pour sauver le secteur.
2. Le choc du budget 2024 : de 41 % à 31 % – un couperet brutal
En mai 2024, le gouvernement du Québec a annoncé une révision du crédit d’impôt Effets Spéciaux, passant d’un taux implicite de 41 % (25 % + remboursement complet) à un système plafonné à 65 % des dépenses admissibles, soit un taux net de 31 %, générant ainsi une réduction de 28 % de l’incitatif.
Cela a immédiatement fragilisé l’attractivité du Québec par rapport à d’autres hubs comme la Colombie-Britannique, l’Ontario, la France ou l’Australie.
3. Effet cocktail : crise fiscale + crise hollywoodienne = effondrement de l’emploi
Cette réduction de crédit d’impôt est intervenue alors que l’industrie subissait déjà les grèves des scénaristes et acteurs à Hollywood, limitant les contrats.
Résultat : une tempête double frappant tant la demande que l’attractivité financière.
Un témoignage Reddit résume :
« Les studios hollywoodiens ne confiaient des travaux qu’à des entreprises québécoises […] Aujourd’hui, l’Australie est au-dessus de tout le Canada et Londres bénéficie également d’une augmentation, de sorte que ces deux marchés seront avantagés en 2025, tandis que le Québec diminuera. » reddit.com
Autrefois fort de plus de 8 000 emplois, le secteur VFX/animation au Québec perd alors plus de 4 000 postes en 20 mois, chutant à seulement 3 100 employés. Conséquence : plus de 67 % de la profession se retrouvent au chômage, selon des acteurs de terrain.
4. Réaction citoyenne : sit‑in et pétition
Mai 2024 : sit‑in à Montréal
Organisé en urgence par Mathieu et Guillaume, près de 700 professionnels se sont rassemblés devant l’hôtel de ville pour protester. Plusieurs studios avaient déjà perdu 40 % de leurs effectifs et pourtant, aucun représentant gouvernemental n’aura répondu présent.
Été 2024 : pétition
Une pétition réclamant une révision du budget a récolté 12 000 signatures, relayée jusqu’à l’Assemblée nationale par le député Pascal Bérubé. Elle a bénéficié d’une couverture médiatique significative.
A ce jour, les acteurs du mouvement essayent toujours d’établir le dialogue plusieurs ministères, afin d’appeller à la réévaluation de la coupe, et militent pour des incitatifs réalistes. Le marché de l’emploi a changé, le secteur est passé à plus de travail freelance, contrats courts, et dilemmes professionnels (quitter le Québec ou changer de carrière…). Certains studios continuent à recruter à distance, notamment à Vancouver, en France ou en Australie.
5. Impacts collatéraux : un exode de talents & une perte culturelle
- Étudiants et stagiaires peinent désormais à décrocher des stages ou emplois à la sortie d’études.
- Les formations co-financées par l’état et les entreprises sont de moins en moins disponibles.
- Forte diminution de la porte migratoire au Canada et donc à l’immigration d’une main‑d’œuvre hautement qualifiée (notamment française)
- Le « French Touch » exportée au Québec – travail polyvalent et créatif – réduit peu à peu.
Nous pouvons lire sur Linkedin des témoignages alarmants tels que :
« Monsieur le premier Ministre François Legault, nous ne comprenons pas votre décision. Vous n’allez pas fragiliser cette industrie, vous allez la tuer. Le Québec était un pôle mondial de cette industrie, une fierté avec un savoir faire qui vaut de l’or, mais vous nous dites non. Nous ne comprenons pas. » (Vincent Secondé)
ou encore :
« Suite à la décision prise par le gouvernement Legault de couper les incitatif fiscaux pour les effets visuel et le cinéma d’animation et bien, la suite de ma carrière ne sera pas au Québec. Par cette action le gouvernement Legault s’est tirer une balle dans le pied et cette dernier n’était pas en 3D. Les pertes sociales et créatives sont un coup dur pour le Québec qui va mettre du temps à s’en relever. » (Thierry Dezarmenien)
Perspectives
Matthieu et Guillaume, qui ont débuté à tâtons il y a plus de 20 ans, confient que :
« Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle phase où les métiers changent et les technos évoluent. Nous avons aussi été les premiers témoins de l’évolution du secteur. Une école est une bonne base mais il est très important de savoir s’adapter à la sortie de l’école. Nous avons également fait face à de nombreux bouleversements au cours de nos carrières, ce n’est pas un chemin linéaire »
- Le cinéma et la VFX résisteront, le divertissement mondial restant robuste.
- Pour les écoles : elles doivent former aux nouvelles technologies et à l’adaptabilité, au-delà des savoir-faire traditionnels.
- Pour les jeunes talents :
Soyez conscients des défis du secteur.
Développez une polyvalence technique (plateaux, post-production, IA…)
Préparez-vous aux changements : plateaux, IA, nouvelles technologies sont des voies d’entrée alternatives.
Mathieu tient également à souligner, en tant que chargé de cours à l’université, à quel point c’est “le fun” de voir des étudiants québécois et français échanger, confronter leurs approches et s’enrichir mutuellement sur le plan culturel. Il est essentiel que ces échanges perdurent, car ils constituent l’un des piliers de la richesse et de la vitalité du milieu.
Le Québec, jadis reconnu comme l’un des trois grands hubs VFX mondiaux, traverse une tempête : coupes budgétaires, crise hollywoodienne, exode, et perte culturelle. Face à cela, l’action citoyenne menée par deux artistes passionnés constitue une résistance qui engage, rappelle la valeur humaine du numérique et construit une défense collective. L’enjeu ? Non seulement sauver des emplois, mais assurer la pérennité d’un écosystème créatif et innovant.
Partagez vos témoignages et soutenez le mouvement Le Québec n’a plus d’effet(s). Ensemble, contribuons à canaliser cette crise vers une chance collective de réinventer le secteur au Québec.
Crédit photo : Page Linkedin Le Québec n’a plus d’Effet(s)

Matthieu Chatelier est un expert en effets visuels avec plus de 20 ans d’expérience, notamment comme compositing supervisor chez FOLKS, Rodeo FX et Hybride au Québec. Installé à Montréal depuis 2004, il enseigne également à l’UQAT depuis 4 ans. Engagé pour la défense du secteur, il est à l’initiative du mouvement « Le Québec n’a plus d’effet(s) ».