« Les VFX ne servent jamais seuls, ils écrivent le plan avec vous. » : interview de Thierry Poiraud
Inventer des mondes, raconter en images : portrait d’un réalisateur pour qui le cinéma reste un sport collectif
Réalisateur passé par l’animation, le clip, la publicité et la fiction, Thierry Poiraud cultive un rapport organique à l’image. Pour lui, les VFX ne sont ni des ornements ni des solutions miracles : ils participent à l’écriture, à la mise en scène, au rythme d’un récit. Lors de sa rencontre avec les étudiants d’ARTFX, il a livré une vision limpide : un univers ne se fabrique jamais seul. Et si la technique compte, c’est toujours la collaboration qui fait la différence.
Un réalisateur qui écrit avec les images
Dans un paysage audiovisuel en constant mouvement, où cinéma, séries et plateformes s’hybrident, Thierry Poiraud occupe une place singulière. Il vient des Beaux-Arts, où il réalise avec son frère un court-métrage en stop-motion, un film de fin d’études conçu comme un laboratoire artisanal. Ce premier essai, primé, les conduit à Paris et les propulse dans le monde du clip et de la publicité, alors riche en expérimentations visuelles.
De cette époque, Thierry Poiraud garde un goût prononcé pour les univers narratifs qui s’inventent autant dans le cadre que dans le scénario. Un goût qu’il explorera plus tard dans Atomik Circus, premier long-métrage signé avec son frère, puis dans les séries Zone Blanche, Infiniti pour Canal+ et Les Sentinelles, diffusée récemment.
“Les VFX ne sont pas là pour faire joli” : une philosophie visuelle
Quand Thierry Poiraud parle d’effets spéciaux, il ne commence jamais par la technique. Pour lui, les VFX se pensent au service du récit : ils collent au rythme, à la dramaturgie, aux intentions de mise en scène.
Avant même d’écrire, il réunit dessins, photos, moodboards, textures, références. Non pour figer une esthétique, mais pour délimiter un territoire visuel, une base solide à partir de laquelle la mise en scène peut exister. Cette construction en amont mène à un moment clé : la rencontre avec le superviseur VFX. Pas de discussion sur les pipelines ou les logiciels. On parle lumière, genre, rythme, cadrage.
Sur le tournage, ce lien s’intensifie. Lorsqu’une scène exige des effets, le superviseur devient un partenaire direct, capable d’ajuster un mouvement, de repenser un plan lorsque le réel contredit le storyboard. « C’est presque un co-réalisateur », affirme Thierry Poiraud. Une manière d’affirmer que la réussite d’un effet repose sur le dialogue, pas sur l’outil.
Les Sentinelles : six mois pour bâtir un univers
Lorsque Les Sentinelles lui est proposé, Thierry Poiraud accepte immédiatement. La série lui offre ce qu’il affectionne le plus : construire un monde avant de tourner. Pendant près de six mois, il collabore avec les équipes artistiques : costumes, décors, silhouettes, atmosphères lumineuses. Ses influences – Star Wars, Alien, Blade Runner, les films de Spielberg – nourrissent cette phase de conception.
Cette approche trouve un écho direct dans les formations ARTFX, où la direction artistique et la narration sont pensées comme un seul langage.
Publicité vs fiction : deux terrains, deux rapports au VFX
La publicité, raconte Thierry Poiraud, reste son terrain d’audace. On peut y tenter des effets non réalistes, explorer des ruptures graphiques, bâtir une idée entière à partir d’un simple gimmick visuel. La fiction, elle, impose une autre règle : le VFX doit s’effacer derrière l’histoire. Dans Les Sentinelles, les effets n’ont de sens que noyés dans le réalisme de l’univers. À l’inverse, dans Infiniti, un projet auquel il reste attaché, le langage visuel participe pleinement de l’identité narrative.
Film ou série : deux écritures, deux respirations
Pour Thierry Poiraud, un film et une série ne relèvent pas du même geste. « Un film, c’est un poème. Une série, c’est un roman. » Le film repose sur une structure resserrée qui doit tenir comme un bloc. La série, elle, vit par ses personnages : tant qu’ils sont forts, l’univers peut se déployer, bifurquer, dériver sans perdre son cap.
Créer du genre en France : un défi d’écriture
Thierry Poiraud ne s’en cache pas : les fictions de genre – Science fiction, fantastique, action – restent difficiles à défendre en France. Son conseil aux jeunes auteurs :
- ancrer le récit dans un réel identifiable,
- injecter le fantastique progressivement,
- écrire une intrigue plus solide qu’un polar classique,
- ne jamais croire qu’un effet visuel peut compenser un récit fragile.
Selon lui, l’écriture demeure le seul véritable levier pour convaincre un producteur ou une chaîne.
Face aux étudiants ARTFX : admiration et avertissement
Après avoir vu les projets de fin d’études, Thierry Poiraud se dit impressionné par la maîtrise visuelle et la créativité. Mais il pointe un point sensible : le jeu d’acteur et les dialogues. Deux aspects difficiles, exigeants, souvent sous-estimés – mais absolument essentiels. Un plan peut être parfait visuellement ; sans intention de jeu, il perd son humanité.
Inventer un monde ne se fait jamais seul
Qu’il évoque la préproduction, les VFX, l’écriture ou la direction artistique, Thierry Poiraud martèle le même message : le cinéma est un travail d’équipe. Un univers ne se crée pas par un individu isolé, mais par l’addition des regards, des compétences, des sensibilités. Pour les étudiants d’ARTFX, c’est un rappel fondamental : derrière chaque plan, chaque effet, chaque scène, il y a une collaboration. C’est elle, plus que la technique, qui donne vie aux mondes que l’on invente.
Thierry Poiraud est un réalisateur et scénariste français reconnu pour son univers visuel singulier, mêlant fiction, fantastique et maîtrise des effets spéciaux. Passé par le clip, la publicité, le documentaire et la série, il s’illustre aujourd’hui avec Les Sentinelles, dernière création pour laquelle il signe à la fois la réalisation et la direction artistique. Après Atomik Circus, Zone Blanche ou encore Infiniti, il continue d’explorer des mondes narratifs ambitieux où l’image et la mise en scène forment un langage à part entière.